Frédéric Schiffter pour Marianne | Samedi 26 Novembre 2011 à 12:01 | Lu 1897 fois
L’auteur de « Métaphysique du frimeur », Frédéric Schiffter, revisite pour nous l’oeuvre de Cioran à l’occasion de la parution de ses oeuvres complètes dans La Pléiade.
A Biarritz, je connais un type, patron de plusieurs bistrots et collectionneur des livres de La Pléiade. Il m’est arrivé d’aller une fois chez lui. Dès qu’il vous fait entrer dans son salon, il va se placer devant sa bibliothèque où s’étalent, serrés, les épais dos en cuir sombre des volumes. Là, prenant une pose avantageuse, il vous parle de tout sauf de littérature. Il incarne à merveille l’Ignorant bibliomane de Lucien de Samosate.
Moi aussi, je possède quelques Pléiade. Mais je ne les ai pas achetés. Ce sont des trophées datant de l’époque de mes études – quand je m’adonnais à la pratique anarchiste de la reprise individuelle. J’avais l’impression de voler des lingots d’or. J’espère qu’il y a prescription. Je ne parle pas du délit commis, mais de la bêtise qui l’inspirait. Car rien n’est moins plaisant que l’usage de ces bouquins. Antoine Blondin remarquait que l’extrême finesse de leur papier bible obligeait qu’on en lût deux ou trois pages en même temps. J’ajouterai que leur facture interdit de les emporter à la plage – défaut majeur pour un lecteur balnéaire dans mon genre.
Bref, me voilà un peu triste à l’idée que non seulement Cioran, édité dans La Pléiade, fera de la figuration dans les rayonnages du limonadier biarrot, mais que son oeuvre, ainsi sanctifiée, perdra de son charme destructeur. Car, enfin, Cioran dans La Pléiade… Autant transférer les cendres de Jules Bonnot au Panthéon !
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Photo : (Emil Cioran – Capture d’écran Dailymotion – gj – cc)