Soyons proustien: enfant j’allais au jardin du Luxembourg. Le manège, qui existe toujours, m’enchantait. J’avais le choix entre la girafe, le lion, le chameau (un dromadaire) et les antiques chevaux de bois. On nous fournissait un bâton et, tourne le machin, il fallait l’enfiler dans des anneaux métalliques qu’une sorte de corne creuse dispensait à mesure
Ah, je n’oublierai jamais le cliquetis triomphant de ces dérisoires trophées. Il m’arrivait, rarement, d’en prendre deux ou trois.
Aujourd’hui, grand-père, j’accompagne mes petits-enfants au manège de Tony, installé à la belle saison dans le parc de la Barbette, à Saint-Martin-de-Ré. On y mange des frites, de la barbe à papa. Un golf miniature, des auto-tamponneuses, un petit train, complètent ce lieu sans prétention mais festif. Tony agrémente les tours de manège à sa façon: au bout de quelques minutes, il détache un gros Mickey en caoutchouc (en plastique), muni d’une queue détachable, et il lance un «qui veut la queue du Mickey?» tonitruant. Les bambins s’agitent pour saisir l’appendice caudal de la souris. Tony a plusieurs queues à son arc. Il lui arrive de favoriser certains des candidats à la capture. On rit beaucoup. On pleurniche un peu. Les vainqueurs agitent leur queue comme un scalp.
WEYERGANS EN A EU DEUX
Transposons cette émouvante et double évocation dans le champ de la littérature et de l’édition. François Weyergans (dont la silhouette étrange s’orne désormais d’un bicorne ridicule et d’une épée grotesque) est monté sur le grand Manège pour s’emparer de l’équivalent de deux queues de Mickey.
J’ai fait le serment idiot de ne jamais écrire de Mémoires mais rien ne m’interdit (ni ne m’empêche) de distiller ici des souvenirs qui amuseront la galerie. D’abord: j’ai formé, à l’époque de Droit de réponse, un quatuor de mauvaises langues qui ont mal tourné. Patrick Rambaud est académicien Goncourt. Laure Adler a occupé, et occupera, de très hautes fonctions. François est académicien depuis hier (16 juin). Et moi, qui suis-je? A peu près rien. Nous nous amusâmes pourtant, injustes, insolents, ricaneurs, et j’au- rais aimé voir et entendre sous la Coupole celui qui, avec sa façon de mordiller les mots, m’a toujours paru ressembler à une sorte de Sagan chauve.
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