Militer, se taire, tuer
Publié le 7/06/2011
Chronique de l’ouvrage « L’homme qui aimait les chiens » du romancier et essayiste cubain Leonardo Padura, publié le 6 Janvier 2011 aux éditions Métailié, dans la collection Bibliothèque Hispano-Américaine.
Par Yoani Sánchez, de La Havane, Cuba
Je n’ai presque pas dormi la nuit dernière. Je n’ai pas cessé de me retourner dans mon lit, et de regarder le plafond carré de ma chambre, ceci à cause d’un livre.L’homme qui aimait les chiens, le roman deLeonardo Padura fait frémir par son réalisme et l’acidité corrosive qu’il projette sur l’utopie ambigüe qu’on a voulu nous imposer. Il est impossible de rester calme après avoir lu les horreurs de cette Union Soviétique que l’on nous a fait vénérer lorsque nous étions enfants. Les intrigues, les purges, les assassinats, l’exil forcé, même s’ils se lisent à la troisième personne feraient perdre le sommeil à n’importe qui. Et si par dessus tout l’on a vu ses parents croire que le Kremlin était le guide du prolétariat mondial et l’on a su que le président de son propre pays avait jusqu’il y a peu une photo de Staline dans son bureau, alors l’insomnie se fait plus durable.
De tous les livres publiés sur cette île, j’ose dire qu’aucun n’a été aussi dévastateur que celui-ci pour les piliers du système. C’est peut-être la raison pour laquelle, à la Foire du Livre de la Havane on en a seulement distribué 300 exemplaires, desquels à peine 100 sont arrivés entre les mains du public. Il est difficile à ce niveau de censurer une œuvre qui a vu le jour dans une édition étrangère et dont l’auteur vit toujours au bord de sa route poussiéreuse de Mantilla. Du fait de la réputation qu’il s’est faite en dehors de cette île, et parce qu’il devient presque impossible de continuer à retirer des noms à la culture nationale sans que celle-ci se vide complètement, il se trouve que nous lecteurs avons eu la chance de nous pencher sur ses pages. L’assassin de Trotski y apparaît comme un homme piégé par l’obéissance du militant, qui croit tout ce que lui disent ses supérieurs. Une histoire qui nous touche de très près, et pas seulement parce que notre pays a servi de refuge à Ramon Mercader dans les dernières années de sa vie.
Lire la suite : http://www.contrepoints.org/2011/06/07/28814-militer-se-taire-tuer