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Syrie – « En attendant ma mort », de l’écrivaine syrienne Samar Yazbek

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Des manifestants près de la mosquée des Omeyyades. Photo AP

Ecrivaine syrienne, l’une des plus importantes de sa génération. Samar Yazbek a à son actif 4 romans, 2 recueils de nouvelles et plusieurs scenarii de films. Elle travaille dans les médias et se distingue par un style original et son courage à évoquer des thèmes longtemps occultés qui abordent les déceptions d’une génération marginalisée et bouillonnante.
Samar Yazbek
Son roman « Odeur de cannelle » est en cours de traduction vers le français, et a été récemment publié en Italie.
Le texte qu’elle nous propose ici parle de l’angoisse qui la prend à la gorge au cours des événements tragiques qui ravagent actuellement la Syrie.

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Ce n’est pas vrai que la mort aura tes yeux quand elle viendra !

Ce n’est pas vrai que le désir de l’amour ressemble au désir de la mort. Les deux instants ne sont pas identiques, ils sont peut-être équivalents dans le néant où ils flottent. Dans l’amour, il y a l’identification avec l’autre, et dans la mort, il y a l’identification avec l’existence, la métamorphose du matériel tangible en idée abstraite. Chez les humains, la pensée est toujours plus noble que l’existence même, sinon, que signifie cette vénération des morts ? Le disparu, qui était parmi nous à peine quelques instants plus tôt, devient soudain fulgurance !

Je ne dirai pas que je suis calme maintenant. Oui, je suis silencieuse, j’entends les battements de mon cœur comme l’écho d’une explosion lointaine, plus nettement que le bruit des balles, les cris des gosses, les lamentations des mères, plus nettement même que la voix tremblante de ma mère qui me supplie de ne pas sortir dans la rue :

«Les assassins sont partout !
La mort est partout !
Au village !
A la ville !
Au bord de la mer !»
Les assassins s’emparent des humains et des lieux, ils terrorisent les gens, ils se répandent devant les maisons des voisins, leur disent que nous allons les tuer puis se tournent vers nous pour nous dire : Ils vont vous tuer.

Je suis la visiteuse fortuite de ce lieu. Je suis l’impromptue de la vie. Je n’appartiens pas à mon milieu. Telle un animal sauvage, je flotte dans le néant. Je me débats dans la vacance – sauf de ma liberté existentielle. Je regarde par la fenêtre, j’observe, avant de retrouver le calme et de rentrer dans le silence. Ma voix est étouffée. A ces moments-là, je me rappelle les mots du réalisateur Omar Amiralay, pendant l’une de nos rencontres matinales, quand j’ai lancé : « Je vais écrire des romans sur l’histoire de ce pays. », il a répliqué : « Dépêche-toi alors ! Je te vois comme une morte en sursis. ». J’ai éclaté de rire. Il a ajouté en souriant : « S’il n’y avait pas ta fille, bien sûr ! »

Omar le facétieux n’aurait pas proféré ces paroles à la légère, il connaissait bien mes liens avec la mort qui avait souvent protégé ma vie. La mort ressemble à l’amour et, pour t’en débarrasser, il faut t’y plonger, tandis que si tu veux être brûlé par l’amour, garde-le à distance.

J’ai voulu en finir rapidement avec l’existence. Submergée par les détails, je n’ai pas compris que cette indifférence allait faire de moi une femme solide et vulnérable à la fois et que j’allais m’attacher à la vie avec toute cette peur ! Peur de quoi ? Comment les gens ont-ils peur ? Ils ne savent pas qu’ils vivent la peur comme ils respirent. Depuis quinze ans, depuis que je me suis installée dans la capitale avec ma fille, je garde un couteau dans mon sac, je l’emporte partout avec moi. Un petit couteau à cran d’arrêt pour me défendre. Pendant des années, je me suis dit que j’allais l’utiliser contre celui qui s’attaquerait à la femme solitaire que je suis. Je n’ai pas eu à l’utiliser souvent, je l’ai brandi quelquefois à la face de quelques hommes abasourdis. Mais récemment, je me suis dit : Je vais le planter dans mon propre cœur avant que quiconque n’agresse ma dignité.

Lire la suite : http://www.babelmed.net/Pais/Syrie/en_attendant.php?c=6563&m=56&l=fr

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