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Un extrait de L’île sous la mer par Isabel Allende

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Un extrait de L'île sous la mer par Isabel Allende dans Auteurs, écrivains, polygraphes, nègres, etc. 214voir la fiche

Par Lire, publié le 11/05/2011 à 07:00
Saint-Domingue, colonie française, 1770. Alors que Louis XVI vient d’épouser Marie-Antoinette à Versailles, Toulouse Valmorain, 20 ans, débarque sur l’île pour succéder à son père, propriétaire d’une plantation de canne à sucre, mort de la syphilis. Prompt à se marier avec Eugenia García del Solar, une riche héritière espagnole, le jeune Valmorain lui adjoint les services d’une petite mulâtresse, Zarité, dite Tété. Chétive, taiseuse, la gamine n’en a pas moins une volonté de fer et un profond désir de liberté. Surtout après avoir découvert le sort insupportable réservé aux esclaves, corvéables à merci sous un soleil de plomb, traités avec une violence sans nom. Bien que sous la protection de son maître, dont elle devient vite la maîtresse, Tété ne renoncera pas à ses rêves d’émancipation… Dans un souffle épique irrésistible, ce nouveau roman d’Isabel Allende retrace l’avènement de la première République noire d’Haïti avec force détails passionnants, tant sur l’esclavage que sur les pratiques vaudoues, et surtout avec moult personnages hauts en couleur, de la sublime courtisane Violette Boisier au célèbre rebelle noir Mackandal.

Saint-Domingue,1770-1793

Le mal espagnol Toulouse Valmorain arriva à Saint-Domingue en 1770, l’année où le dauphin de France épousa l’archiduchesse autrichienne Marie-Antoinette. Avant de s’embarquer pour la colonie, alors qu’il était loin de soupçonner que son destin allait lui jouer un tour et qu’il finirait enterré dans une plantation de canne à sucre aux Antilles, il avait été invité à Versailles, à des fêtes en l’honneur de la nouvelle dauphine, une blondinette de quatorze ans qui bâillait sans dissimulation au milieu du protocole rigide de la cour de France.

Tout cela se trouva relégué dans le passé. Saint-Domingue était un autre monde. Le jeune Valmorain avait une idée assez vague de l’endroit où son père amassait tant bien que mal le pain de la famille, avec l’ambition de faire fortune. Il avait lu quelque part que les premiers habitants de l’île, les Arawaks, l’appelaient Haïti avant que les conquistadors ne changent son nom pour Hispaniola et n’exterminent tous les natifs. En moins de cinquante ans, il ne resta pas un seul Arawak vivant, pas même à titre d’exemple : tous périrent, victimes de l’esclavage, des maladies européennes et du suicide. C’était une race à la peau rougeâtre, aux épais cheveux noirs, d’une inaltérable dignité, si timide qu’un seul Espagnol pouvait vaincre dix d’entre eux à mains nues. Ils vivaient en communautés polygames, cultivaient la terre en prenant soin de ne pas l’épuiser : patate douce, maïs, calebasse, arachide, piments, pommes de terre, manioc. La terre, comme le ciel et l’eau, n’avait pas de propriétaire avant que les étrangers s’en emparent pour cultiver des plantes jamais vues grâce au travail forcé des Arawaks. C’est à cette époque que la coutume de « lâcher les chiens » vit le jour : tuer des personnes sans défense en excitant les chiens contre elles. Quand ils eurent anéanti les indigènes, ils importèrent des esclaves séquestrés en Afrique et des Blancs d’Europe, convicts, orphelins, prostituées et rebelles.

A la fin du XVIIe siècle, l’Espagne céda la partie occidentale de l’île à la France qui lui donna le nom de Saint-Domingue, laquelle allait devenir la colonie la plus riche du monde. A l’époque où Toulouse Valmorain y débarqua, le tiers des exportations de la France provenait de l’île : sucre, café, tabac, coton, indigo, cacao. Il n’y avait plus d’esclaves blancs, mais les Noirs se comptaient par centaines de mille. La culture la plus exigeante était la canne à sucre, l’or doux de la colonie ; couper la canne, la broyer et la réduire en sirop n’était pas un labeur d’être humain mais, comme l’affirmaient les planteurs, un travail de bête.

Valmorain venait d’avoir vingt ans lorsqu’il fut appelé à la colonie par un message pressant de l’agent commercial de son père. Il débarqua vêtu à la dernière mode – poignets de dentelle, perruque poudrée et chaussures à hauts talons -, persuadé que les livres d’exploration qu’il avait lus le mettaient largement en mesure de conseiller son père pendant quelques semaines. Il voyageait accompagné d’un valet1presque aussi élégant que lui, avec plusieurs malles contenant ses vêtements et ses livres. Il se définissait comme un homme de lettres et avait l’intention, à son retour en France, de se consacrer à la science. Il admirait les philosophes et les encyclopédistes, qui avaient eu tant d’influence en Europe au cours des dernières décennies, et partageait certaines de leurs idées libérales : à dix-huit ans, Le contrat social de Rousseau avait été son livre de chevet. Dès qu’il eut débarqué, après une traversée qui avait failli se terminer en tragédie lorsque le bateau avait affronté un ouragan dans la mer des Caraïbes, il eut sa première surprise désagréable : son géniteur ne l’attendait pas au port. Il fut reçu par l’agent, un juif aimable vêtu de noir de la tête aux pieds, qui le renseigna sur les précautions qu’il fallait nécessairement prendre lorsqu’on se déplaçait dans l’île, lui trouva des chevaux, deux mules pour le transport des bagages, un guide et un milicien pour l’accompagner à l’habitation2 Saint-Lazare. Le jeune homme n’avait jamais mis les pieds hors de France et il avait prêté fort peu d’attention aux anecdotes – du reste banales – que racontait son père lors de ses rares visites à la famille, à Paris. Il n’avait jamais imaginé se rendre un jour à la plantation ; l’accord tacite était que son père devait consolider sa fortune dans l’île tandis que lui-même prenait soin de sa mère et de ses soeurs, tout en supervisant les négoces en France. La lettre qu’il avait reçue faisait état de problèmes de santé, aussi avait-il supposé qu’il s’agissait d’une fièvre passagère, mais en arrivant à Saint-Lazare après une journée de voyage à bride abattue dans une nature goulue et hostile, il comprit que son père était mourant. Il ne souffrait pas de malaria, comme il le pensait, mais de syphilis, un mal qui dévastait également Blancs, Noirs et mulâtres. L’affection avait atteint son stade ultime et son père était pratiquement invalide, couvert de pustules, les dents branlantes, l’esprit embrumé. Les traitements dantesques à base de saignées, de mercure et de cautérisations du pénis avec des fils métalliques chauffés au rouge ne l’avaient pas soulagé, mais il continuait à les pratiquer en manière d’acte de contrition. Il venait d’avoir cinquante ans et c’était un vieillard qui donnait des ordres extravagants, urinait sur lui sans s’en rendre compte et passait son temps dans un hamac avec ses mascottes, deux petites négresses à peine pubères.

Lire la suite : http://www.lexpress.fr/culture/livre/un-extrait-de-l-ile-sous-la-mer-par-isabel-allende_987295.html

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