Le 8 mai 2011 à 14h00
LE FIL LIVRES – Atteinte à la vie privée, diffamation… Lorsqu’un roman met en scène une personne réelle, le risque juridique n’est plus très loin. En revanche, la liberté de création, elle, s’éloigne. Le brillant “Petit Traité de la liberté de création”, de l’avocate Agnès Tricoire, propose quelques solutions.
© Raphael Trapet pour Télérama.
« L’époque actuelle est à la régression, au formatage et à la peur de montrer. » Agnès Tricoire n’y va pas par quatre chemins, dans son essai brillant et gouailleur Petit Traité de la liberté de création. Pour cette avocate parisienne spécialiste en propriété intellectuelle, « depuis l’après-guerre, et contrairement à certaines idées reçues, l’appareil législatif qui permet la censure, confiée au gouvernement, ou la répression des oeuvres, confiée aux tribunaux, n’a fait que se renforcer ». S’il s’agit pour elle de dénoncer l’emprise grandissante d’associations d’extrême droite, qui voudraient formater l’art en s’emparant des outils juridiques à disposition, force est de constater que les attaques contre la création ont pris récemment des formes multiples. A commencer par l’assignation d’écrivains pour atteinte à la vie privée, par les personnes réelles qu’ils ont mises en scène dans leurs romans.
Ainsi Régis Jauffret, pour Sévère (éd. du Seuil, 2010), se voit-il intenter un procès par la famille du banquier Edouard Stern, assassiné par sa maîtresse en 2005. Motifs de la plainte ? « Alors que le livre, vendu à près de 12 000 exemplaires, a pour objet non pas de répondre au légitime besoin d’information du public, mais de divertir des lecteurs et de tirer un profit commercial d’un drame médiatisé, son auteur n’a pas hésité à peindre Edouard Stern de la manière la plus dégradante, la plus monstrueuse et la plus ignominieuse qui soit. » Christine Angot a, elle aussi, été assignée pour atteinte à la vie privée dans son dernier roman, Les Petits (éd. Flammarion, 2011), dans lequel l’ancienne amie de son actuel compagnon dit s’être reconnue à travers le personnage d’Hélène. Enfin, Patrick Poivre d’Arvor est poursuivi par son ex-compagne, à cause du récit qu’il fait de leur relation dans Fragments d’une femme perdue (éd. Grasset, 2009), où figurent, sans son accord, des extraits de leur correspondance amoureuse.
Ces trois affaires portées à la connaissance des médias (et dont l’issue judiciaire n’est pas encore connue) n’indiquent pas une recrudescence des procès pour atteinte à la vie privée. Comparativement au nombre, sans cesse grandissant, de livres publiés chaque année, cela tient encore de l’épiphénomène. Pourtant, chez les éditeurs, la prudence s’accroît. Benoît Kerjean, directeur du service juridique du Seuil, reconnaît que depuis quatre ou cinq ans le volume des manuscrits passant par son service avant publication a beaucoup grossi. « J’ai le sentiment qu’on tente de plus en plus d’encadrer la liberté de création. On est en train de condamner un genre littéraire ancien : la fiction inspirée de faits divers. Les directions juridiques sont désormais sollicitées pour relire des œuvres qui, de par leur nature, n’ont pas à être appréciées au regard d’un risque quelconque. »
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