Londres, un soir brumeux de l’automne 1854.
Le pavé sombre est luisant, l’humidité de l’atmosphère est en suspension dans le halo blafard des réverbères. Une silhouette discrète suit un homme tranquille dans une ruelle que pourrait très bien emprunter Jack l’Éventreur quelques décennies plus tard… Un choc caverneux étouffé par le brouillard, un cri strident dans la nuit, le bruit mat d’un corps qui s’affaisse, une cavalcade de pas précipités qui s’éloigne rapidement…
« Après avoir tué l’homme aux cheveux roux, je suis allé chez Quinn m’offrir un souper d’huîtres »
C’est de cette façon magistrale que s’ouvre le roman de Michael Cox.
Edward Charles Glyver avoue son crime et le revendique sereinement. Pire encore, il annonce que ce meurtre n’était pour lui qu’un entraînement s’inscrivant dans le cadre d’un projet criminel qu’il mûrit depuis longtemps. Une vengeance personnelle envers un ancien camarade de collège qui le poursuivrait de sa haine et lui ravirait son propre destin depuis des années.
Au fil de longues pages soignées, Edward Glyver se confesse et explique les raisons et les motivations de son geste prémédité et déterminé. Rien ne le prédestinait à devenir un meurtrier : c’est un homme de condition modeste mais érudit. Il a voyagé, collectionne les livres anciens pour lesquels il se passionne, s’intéresse à la photographie encore balbutiante, cultive un dandysme maniéré et s’adonne aux plaisirs raffinés de l’opium. Il s’imagine une grandeur d’âme qui s’accorde mal avec la vie qu’il mène, assez médiocre et trop humble à son goût, largement au-dessous de ses mérites intellectuels et de ses dispositions morales. Sans appui bienveillant dans la noble société britannique, sa condition serait assez misérable par manque d’argent et de haute naissance.
Edward se sent suivi et harcelé par l’ombre menaçante de cet ancien camarade qui pourtant ne l’a plus approché depuis longtemps. Il se méfie, il pressent un danger menaçant sa vie, une ruse pernicieuse et malfaisante dirigée contre lui, une machination lente et silencieuse dont il serait la victime. Cependant il ne sait pas encore très bien pourquoi ni comment ce complot larvé qui plane autour de lui va l’atteindre, mais il est persuadé qu’il s’agit de le léser ; l’imposture n’est pas loin.
Est-il paranoïaque ?
Toujours est-il qu’il est extrêmement minutieux et rigoureux dans sa confession. Par le menu et en détails, il fait part aux lecteurs de ce qu’il découvre au fil de son enquête. Le drame se profile à l’horizon…
L’écriture de Michael Cox est ample et élégante, son chemin narratif appliqué est très travaillé et peut-être cela se sent-il trop. Mais il distille ce qu’il faut de mystère et de doutes pour accrocher le lecteur et le mener de réflexions en découvertes. La narration étant très introspective, il ne faut pas s’attendre ni à de l’action ni à de l’aventure. L’intérêt est de suivre les circonvolutions de l’ébullition cérébrale que notre héros placide distille avec le flegme traditionnellement attribué à sa nationalité.
L’Angleterre victorienne tient une place prépondérante dans les descriptions et je n’ai pu m’empêcher d’y associer les illustrations de Gustave Doré sur « London, a pilgrimage », ouvrage de Blanchard Jerrold datant de 1872 dont vous trouverez quelques exemples sur cet article. Qu’il s’agisse de Londres, de ses lieux de plaisir et de perdition et de la vie oisive et dilettante de ce dandy, ou qu’il s’agisse de la vie provinciale d’un Lord jouissant de privilèges arrogants dans son château de famille, l’atmosphère est si bien dépeinte que l’imagination est facilement transportée et excitée. Mais le récit certes romanesque n’a pourtant pas la passion et l’éclat de « La rose pourpre et le lys » de Michel Faber dont l’intrigue se situe à peine quelques années plus tard et qui fait la part belle à l’explosion qui couve sous la misère et les inégalités sociales.
Restent un livre agréable et un travail d’écrivain impressionnant dont la suite est parue en 2009 aux éditions du Seuil sous le titre « Le livre des secrets ».
La nuit de l’infamie : une confession (« The meaning of night », 2006), de Michael Cox, traduit de l’anglais par Claude Demanuelli, éditions du Seuil, 2007 , 634 pagesISBN : 978-2-082702-7 / 22 €
Source : http://www.laruellebleue.com/6004/la-nuit-de-l%E2%80%99infamie-une-confession-michael-cox-seuil/