L’excellente romancière américaine Joyce Maynard explique comment elle est tombée amoureuse, à 18 ans, de l’écrivain mythique, décédé il y a un an («Et devant moi, le monde», par Joyce Maynard, traduit de l’anglais par Pascale Haas, Editions Philippe Rey)
Dans l’imposant courrier (des centaines de lettres, d’amour pour la plupart) suscité par la publication, dans le «New York Times Magazine», d’un article qu’elle vient d’écrire sur la jeunesse américaine, Joyce Maynard, jeune étudiante à Yale, tire une enveloppe à laquelle elle prête d’abord peu d’attention. La missive commence par un banal «Chère Miss Maynard», mais l’auteur de la lettre, se souvient la destinataire, précise ensuite «que la nature de ce qu’il écrit là doit rester d’ordre privé. Il me dit que, comme moi, il est à moitié juif, droitier et vit dans le New Hampshire.» En découvrant, au bas de la lettre, les sincères salutations de J. D. Salinger, la jeune fille sursaute. Nous sommes en 1972, au printemps.
Joyce Maynard a 18 ans, «Jerry» Salinger, 53. L’une est courtisée par les magazines de la côte est, qui voient en elle une nouvelle Sagan. L’autre, idôle de toute la nation, fuit les éditeurs, les journalistes et les curieux de tout poil. Il se terre dans une sorte de ranch simple, avec une terrasse en bois et une vue imprenable sur le mont Ascutney. Quand ils se rencontrent, Joyce est déjà tombée amoureuse du personnage. Bientôt, elle s’installe chez lui. Le soir venu, l’écrivain déshabille la jeunette, guère au fait des mystères de la sexualité, et tente vainement de la pénétrer. Féru d’homéopathie, il concocte des breuvages pour essayer de soigner sa jolie poupée, dont il croit avoir identifié le mal: vaginisme.
On en apprend donc de belles sur le mythique écrivain. Il ne va jamais en ville, méprise John Updike, conduit à toute allure, effectue, l’après-midi, toujours la même promenade et regarde, le soir, des films sur un projecteur 16 mm, Hitchcocken particulier. Comment lui est venu le nom de Holden Caulfield (le héros de «l’Attrape-cœurs»)? En apercevant ceux, au fronton d’un cinéma, de William Holden et de Joan Caulfield. «Bien qu’il n’ait rien publié depuis 1965», raconte encore Joyce Maynard, «il travaille tous les jours», méditant pendant des heures dans son cabinet de travail. Il s’est fait construire un coffre-fort «de la taille d’une chambre», dans lequel il conserve des manuscrits que personne n’a jamais lus.
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