« … Et la lune qui s’ennuyait dans les nuées/ A jeté dans la pièce un regard morne./ Il y a six couverts sur la table,/ Un couvert reste vide./C’est mon mari, c’est mes amis et moi,/ Qui fêtons Nouvel an./ Pourquoi ce sang sur mes doigts,/ Pourquoi ce vin qui brûle, comme un poison ?/Solennel et figé, le maître de maison/ Lève son verre :/ «Je bois à nos chères clairières, à la terre,/ Dans laquelle tous nous gisons ! »/ Puis mon ami, son regard posé sur mon visage/ Et se rappelant Dieu sait quoi,/S’écrie : « Buvons à ses chansons,/ Dans lesquels nous tous vivons !»/Mais le troisième ignorait tout/ Quand il quitta le monde,/ Et lui, répond à mes pensées :/ «N’oublions pas de boire à celui/ Qui manque encore parmi nous ».
Ce poème daté de 1923 s’intitule « Ballade de Nouvel an ». On le trouve dansL’églantier fleurit et autres poèmes (230 pages, 22 euros), un recueil bilingue russe-français d’Anna Akhmatova, publié en novembre dernier avec un soin, un goût et une passion d’un autre temps par les animateurs d’une modeste maison d’édition sise à Chêne-Bourg, la plus petite commune genevoise, à l’enseigne de La Dogana. La traduction en a été assurée par Marion Graf et José-Flore Tappy. Le volume se clôt par les trente pages de son déchirant Requiem : «Non, pas sous des cieux étrangers/ Ni sous des ailes étrangères,-/ J’étais alors avec mon peuple,/ Là où mon peuple était, pour son malheur…»
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