Par Paul Fournel, Cécile Guilbert, Hervé Le Tellier, Gérard Mordillat et Gilles Rozier, écrivains
Nous tombons bien souvent d’accord, cher éditeur et ami, lorsque nous discutons littérature, mais je dois te parler ici d’une chose qui fâche : l’argent. En France, le sujet est tabou et le mot indécent dès qu’il ne s’agit pas d’un titre de Zola. C’est que je viens de recevoir ton « avenant au contrat » concernant les « droits numériques ». Pour ceux qui viendraient à tomber sur notre échange (que je tiens à garder confidentiel), je précise que les droits numériques sont ceux que je perçois lorsque mon livre quitte le monde du papier pour celui de l’écran, et qu’il est lu sur un iPad ou un Kindle.
Interrogé, tu m’as répondu, rassurant, que ce marché est embryonnaire. C’est vrai. Mais qui peut présager de l’avenir ? Regarde l’univers du disque : il a laissé place en dix ans à celui, fort immatériel, de la musique. Bref, tu m’engages, en attendant d’y voir plus clair, à signer ce satané avenant où tu m’accordes 10 % du prix net du livre, comme sur le papier. Je vais donc devoir parler pourcentage. Pardonne-moi d’avance cette vulgarité.
Je connais le modèle traditionnel du livre, tu me l’as naguère expliqué : la distribution empoche environ 53 % du prix final de mon livre, et toi, cher éditeur, une fois l’imprimeur payé (autour de 15 %) et mes droits d’auteur réglés (tu m’accordes en moyenne 10 % par exemplaire vendu), il te reste un peu plus de 20 % pour vivre. Tu gagnes donc sur chacun de mes livres deux fois plus que moi, mais c’est justice, j’en conviens (même si tu pourrais être plus généreux), car tu fais ce pari financier qui justifie depuis Diderot l’existence même de ta profession : tu engages des « frais fixes », de la correction à l’impression, sans oublier les efforts de ton service de presse pour le promouvoir auprès des critiques.
Donc, dans ton « avenant au contrat », tu me proposes ces 10 % de droits sur mon livre numérisé. Tu es pourtant libéré des coûts de manutention, de stockage et d’impression, et il te restera 90 %, puisque tu vends ce « livre » au même prix sur le Web qu’en librairie (cette aberration commerciale épargne sans doute pour un temps les libraires et tant mieux). Certes, avec ces 90 %, tu vas tout de même devoir assurer quelques coûts. Tu transformes l’ouvrage en un format « eBook » et tu « sécurises les données » (on me dit que ces coûts réels sont dérisoires, détrompe-moi). Tu me dis que tu dois rémunérer le « libraire virtuel » (c’est parfois ta propre filiale, petit coquin) jusqu’à 30 % et plus, mais on me rappelle que ce pourcentage ne peut que baisser (c’est déjà souvent 20 %), puisque dans cette « distribution », tout est virtuel et que la concurrence est acharnée. Au bout du compte, pour ce livre que j’ai écrit, tu toucheras donc entre six et sept fois plus que moi, c’est bien cela ? Surtout, corrige-moi en cas d’erreur, je suis un littéraire, hélas.
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