Penser l’économie du livre numérique – entretien avec Lorenzo Soccavo, prospectiviste de l’édition.
En tant que spécialiste de l’industrie de l’édition et fin observateur du développement du livre numérique, je souhaiterais connaître votre analyse de la mutation du modèle économique de l’édition face à l’arrivée des NTIC. Comment l’industrie traditionnelle du livre papier peut-elle profiter du développement de l’usage du numérique dans la transmission des savoirs et des œuvres de l’esprit ?
Je ne me définirais pas vraiment comme un « spécialiste de l’industrie de l’édition ». Mon activité consiste d’abord à observer et à réfléchir les évolutions du livre et de la lecture. J’interviens alors comme auteur sur ces questions, ou comme conférencier. Ensuite, je peux également faire profiter concrètement les différents acteurs de l’interprofession du livre des fruits de ce travail. Il s’agit alors simplement d’appliquer, en les adaptant aux spécificités du secteur du livre et de son marché, des méthodes de prospective. L’objectif étant justement de pouvoir mettre en place de nouvelles formes possibles d’organisations socio-économiques, de nouvelles chaines de valeur, afin de mettre en œuvre des stratégies de développement qui restent pertinentes à moyen terme, compte tenu de l’accélération que nous observons tous dans les technologies et dans les usages.
Pour répondre à votre question, je dirai que le modèle économique de l’édition est aujourd’hui, obligé, de se reconfigurer, pour s’adapter aux nouvelles pratiques de consommation de biens culturels dématérialisés. L’arrivée des NTIC, l’informatisation et le développement du numérique dans les pratiques culturelles, datent. Nous ne sommes plus dans la nouveauté, mais, souvent, dans l’acquis. Cela fait des années déjà que, des auteurs qui travaillent avec des logiciels de traitement de textes, aux libraires et aux bibliothécaires qui ont leurs catalogues informatisés, en passant par les imprimeries, que l’ensemble de la chaine est informatisée.
Ce qui, fin 2010, impacte l’industrie du livre imprimé, c’est le fait que de nouveaux dispositifs de lecture commencent à être commercialisés à des prix abordables dans la grande distribution et que les consommateurs, y compris lecteurs, réclament plus de mobilité, de portabilité et de connectivité.
C’est aussi que les lecteurs, toutes générations confondues, ont acquis de nouvelles pratiques de lecture sur le Web. C’est en fin de compte la rupture que semblent introduire des terminaux comme l’iPhone ou l’iPad.
Face à la multiplicité des offres de liseuses numériques, de formats pour les livres, de verrous numériques, comment un lecteur souhaitant découvrir la lecture numérique peut-il s’y retrouver? Et finalement quels gains peut-il en tirer?
Oh, je ne pense pas que la situation soit aussi embrouillée que cela ! Pour ce qui est des nouveaux dispositifs de lecture, terme à mon sens plus adéquat que celui de « liseuse », l’offre en France n’est pas encore très étendue. Les tablettes de Sony et de Bookeen, et pour le reste l’iPad. Je schématise un peu, mais le Kindle d’Amazon n’est pas en vente en magasins, et, excepté via Internet, on trouve très peu d’autres modèles.
Pour ce qui est des formats : le plus courant reste le PDF, puis l’ePub, format ouvert standardisé et recommandé par l’International Digital Publishing Forum.
Cela dit, les formats propriétaires, comme par exemple avec le Kindle, pourraient justement être ressentis comme des facilités par certains consommateurs. Nombre de lecteurs ne seront peut-être pas opposés à des systèmes fermés, comme ceux que leurs proposent Amazon ou Apple. Cela leur rappellera peut-être au fond les clubs du livre, comme France Loisirs ou Le Grand Livre du Mois.
Quant aux générations plus jeunes elles pourraient aussi se laisser séduire.
Si elles sont technophiles elles sont surtout consommatrices et bien moins au fait des arcanes de l’informatique que nous le pensons habituellement.
Les verrous numériques ? Les éditeurs, comme tout le monde, informés des erreurs passées de l’industrie du disque, ont, je pense, conscience de leur inefficacité et de leurs effets négatifs sur les consommateurs. De plus, une autre solution existe pour le livre numérique, qui n’était pas possible pour la musique. Il s’agit d’un marquage du fichier qui en assure la traçabilité et permet donc d’identifier l’acheteur. Ce procédé, appelé watermarking, n’a, comparé aux classiques DRM (Digital Rights Management), pratiquement aucun coût pour l’éditeur, est bien plus fiable et sans entrave pour l’utilisateur.
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