État des lieux
Par Dominique Varry
La publication, entre 1988 et 1992, d’une Histoire des bibliothèques françaises en quatre volumes a fait sortir du néant, ou peu s’en faut, un domaine presque totalement méconnu jusqu’alors, et abandonné à une poignée de spécialistes, bibliothécaires pour beaucoup. Cette publication a certes permis de faire le point sur les connaissances, elle a également pointé l’étendue de nos ignorances, stimulant en cela de nouvelles investigations. Au seuil du XXIe siècle, une quinzaine d’années après cet événement éditorial, il est légitime de s’interroger sur l’état présent de ce domaine de recherche dans notre pays. C’est ce que je tenterai de faire dans les pages qui suivent, sans prétention à l’exhaustivité mais en reprenant, développant et actualisant un propos présenté à l’occasion du bicentenaire de la Bibliothèque du Congrès (55).
Une certaine visibilité… brouillée
En France, l’histoire des bibliothèques a toujours été et demeure une direction d’un champ disciplinaire, « l’histoire du livre », qui a émergé et conquis ses lettres de noblesse comme la reconnaissance universitaire dans les années 1960.
La meilleure preuve en est que les quatre volumes de l’Histoire des bibliothèques françaises ont paru quelques années après la publication, entre 1982 et 1986, d’une Histoire de l’édition française, elle aussi en quatre volumes, dont ils constituent le contrepoids. Dans un même ordre d’idées, ce sont les revues d’histoire du livre qui accueillent les articles traitant d’histoire des bibliothèques, alors que les Anglo-Saxons disposent, en plus des premières, de périodiques spécialisés, tels Library History (Londres) et Libraries and Culture (Université du Texas).
Un autre paradoxe est que, si l’école française d’histoire du livre (et des bibliothèques) s’est taillé une réputation internationale, et si ses ténors (Henri-Jean Martin, Roger Chartier…) sont connus et invités dans le monde entier, la discipline demeure encore très marginale dans le monde universitaire hexagonal. À l’exception du Centre d’études supérieures de la Renaissance de l’Université de Tours, et du Centre d’histoire culturelle de l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, elle n’est pas enseignée à l’université… mais cantonnée dans des établissements de statuts particuliers. Citons par ordre chronologique d’apparition : l’École nationale des chartes, l’École pratique des hautes études, l’École des hautes études en sciences sociales, l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques.
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