Les décideurs locaux ont trop souvent tendance à sacrifier la conception d’un ouvrage public sur l’autel des économies d’investissement de bouts de chandelle. Au delà des aspects liés à la construction, le souci accru du « vivre ensemble » dans des sociétés anxiogènes devrait nous inciter à faire évoluer leurs usages.
Par Jean-Marc Pasquet
Révolution tranquille du « troisième lieu »
Une petite révolution tranquille semble pourtant gagner les municipalités les plus averties (1). Elle vient d’outre-atlantique, conceptualisée au début des années 1980 par Ray Oldenburg, professeur émérite de sociologie urbaine à l’université de Pensacola en Floride. L’idée de faire des équipements ouverts aux publics des « troisième lieu » (2), distincts des deux premiers : foyer et travail. Des espaces « politiques » où les individus peuvent se rencontrer, se réunir et échanger, prendre un café ou simplement se poser. A rebours des effets pervers de l’individualisme social, pour renouer avec certains rituels du « vivre ensemble », comme on dit aujourd’hui.
Des lieux vivants, propices à l’échange comme dans la sphère privée entre individus placés en situation d’égalité.
Accessibles, sur le plan des horaires (larges amplitudes), agissant comme « facilitateur social », où l’on vient « par hasard » rencontrer des habitué-e-s, rompre un peu de solitude dans des espaces confortables et douillets. Des lieux « comme à la maison » ou plutôt comme elle devrait être dans un idéal sans télévision. Celui des tavernes où l’on vient se décharger du stress sans tomber dans les comportements déviants.
Les bibliothèques se prêtent particulièrement à ce type d’expérimentations : à l’instar de celles de la ville de Chicago, réputées pour leur convivialité, les aides à la lecture, leurs salles d’études et des services d’aide aux devoirs ou de cours aux adultes. A Toronto, on trouve dans certaines d’entre elles des services à l’emploi ou au logement particulièrement appréciés des nouveaux arrivants.
La bibliothèque en première ligne et en ligne au Québec remplit une mission sociale essentielle : elle est le temple de l’éducation informelle, le pilier de la démocratie, la gardienne de l’identité et de la liberté d’expression, et ces finalités passent par la culture. C’est dans ce maillage plus nuancé entre le social et le culturel que s’articule le modèle de la bibliothèque publique québécoise » (3).
Le « modèle français » de la bibliothèque est davantage marqué par le souci de « collections savantes » et moins riche en services d’apprentissage et de savoir. Sans renier ses fondements, la crise sociale requestionne cette conception au regard des nécessités de décloisonner les usages, faciliter l’accessibilité aux publics dans un contexte de ressources budgétaires restreintes.
1 [Le blog culturel des Administrateurs territoriaux de l’INET http://terrainsdeculture.wordpress.com/2010/10/17/un-avenir-nouveau-pour-les-bibliotheques-troisieme-lieu-de-vie/
(2) Aller plus loin sur la notion de « troisième lieu » : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2010-04-0057-001
(3) [Analyse comparée des moèles français, canadiens et USA
http://bibliomancienne.wordpress.com/2010/04/30/la-bibliotheque-publique-le-modele-quebecois/
Source :