«Le Livre sans nom» est en passe d’être un carton littéraire. De l’inconvénient d’être un auteur anonyme, et de quelques moyens médiatiques d’y remédier.
Être un auteur anonyme au XXe siècle n’était déjà pas évident. Faire ce choix au début du XXIe pourrait à première vue paraître suicidaire… Couverture, affichage, encart presse ou passage télé, la personne de l’auteur est de plus en plus exposée, en période promotionnelle notamment. Et on aurait tort de croire que seul le roman grand public d’amour ou de suspense (Marc Levy, Harlan Coben, etc.) se prête à ce branding de la personne de l’auteur. L’édition sérieuse française et sa désormais inévitable autofiction se régale des trombines d’auteurs, surtout quand l’artiste est suffisamment bien loti par la nature pour entrer dans un cénacle assez réduit et fort convoité: celui d’auteur-e invité-e dans un talk show pour parler de sexe, de politique et, parfois aussi, un peu de littérature.
L’édition a encore beaucoup de travail à fournir avant de se mesurer au cinéma où le règne people est désormais bien établi (le making of comme passage obligé d’une promotion réussie, les interviews d’actrices et d’acteurs ayant adoré travaillé avec Kevin qui lui-même a super kiffé de travailler avec Sandy), mais le spectacle de l’autour du livre accapare tout de même une bonne part du discours de promotion destiné aux médias (qu’il s’agisse de publicité ou de relations presse).
People, promo et métafiction, l’auteur est partout
L’anonymat implique en revanche un certain nombre de renoncements dans la phase aval du livre, celle de la promotion: pas de photo, pas de signature en librairie, pas de télé. Et comment diable inciter la presse à parler d’un roman sans nom, sans tête, sans corps, quand l’édition est allée jusqu’à ce genre d’extrémité…
D’une certaine manière, la trombine et la peopolisation sont devenues beaucoup plus qu’un simple argument de marketing éditorial, pour accéder au rang de genre littéraire. C’est en amont, bien avant les stratégies de lancement, les quatrièmes de couverture ou les publicités dans la presse, que les auteurs eux-mêmes utilisent des procédés littéraires autofictionnels, qui nécessitent désormais une bonne connaissance de leur vie par le lecteur pour entrer dans le trip. C’est ce qu’on appelle en langage intello l’écriture métafictive: l’auteur (qui écrit «Je») joue à écrire sur lui, lui en train d’écrire, lui en train de vivre la réception de son écriture par d’autres, dans une spirale infinie qui entraîne réalité et fiction pour mieux les indifférencier. C’est un très vieux procédé, mais notre époque l’a quelque peu banalisé.
• Angot parle d’Angot (c’est ce qui l’a rendue célèbre),
• Weyergans de Weyergans (le personnage de Trois jours chez ma mère s’appelle François Weyergraf et écrit un livre intitulé… Trois jours chez ma mère),
• Houellebecq de Houellebecq (un des personnages de son dernier roman s’appelle… Michel Houellebecq),
• Foenkinos de Foenkinos (ce dernier projette son personnage d’écrivain dans le futur dans son roman Qui se souvient de David Foenkinos?)
… Alors, que faire quand on a choisi l’anonymat?
Eh bien il faut faire parler de soi quand même. Deux principes à respecter:
1• Quand il n’y a pas de nom, en trouver un quand même
Passé un certain temps, et face à un succès grandissant, l’auteur anonyme ou caché derrière un pseudo sera nécessairement la victime plus ou moins consentante d’un jeu de devinettes. Ainsi Trevanian, écrivain à succès de romans d’espionnage parodiques, fut un temps pris pour le pseudo de Robert Ludlum, auteur lui aussi à succès de romans d’espionnage fort peu parodiques en revanche (dont la célèbre série des Jason Bourne).
De même, la discrétion de celui qui se fait appeler le Bourbon Kid sur Facebook a attiré la curiosité du public. L’anonyme, auteur de trois volumes d’une saga délirante et burlesque commencée avec Le Livre sans Nom (publié en France par Sonatine en juin 2010), connaît un important succès en librairie. Distribué dans plus de vingt-cinq pays et déjà en route pour une adaptation ciné américaine, son livre s’est vendu à 40.000 exemplaires au Royaume-Uni où il fut d’abord édité, à plus de 80.000 en Allemagne, 45.000 en Pologne… En France, où le public ne l’a découvert que récemment, le carton semble également assuré, 50.000 exemplaires ayant été écoulés en trois mois.
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