Nous signalions, le 17 mai dernier, la sortie du remarquable recueil d’études dirigé par Lodovica Braida et Mario Infelise sur le thème du «livre pour tous» (Libri pet tutti). La lecture des différents articles en est particulièrement stimulante, non seulement de par la problématique très large du propos, mais aussi parce que celui-ci est envisagé dans une perspective implicitement comparatiste, et surtout dans le long terme (de l’Ancien Régime à aujourd’hui).
Entre économie et contrôle. Le «livre pour tous» recouvre des problématiques qui sont d’abord d’ordre économique, dimension qui se fait progressivement plus sensible à partir de la fin de l’Ancien Régime et avec la seconde révolution du livre (à partir des années 1760 et au XIXe siècle). L’élargissement du public des lecteurs s’accompagne d’un élargissement du volume des affaires, et la logique même de l’industrialisation de la branche se fonde sur la mise en place d’une forme de production de masse dont la question de la qualité ne tardera pas à être posée.
Car le modèle du «livre pour tous» touche aussi à l’écriture (le type de diffusion est déjà pris en compte au niveau de l’écriture elle-même), tout comme à la problématique d’une lecture éventuellement définie comme «populaire» (voir sur ce point la critique très bien venue de Mario Infelise, p. 3). Mais il touche surtout au contrôle des textes et de leur diffusion, et, quelques décennies à peine après l’invention de la typographie en caractères mobiles (vers 1450), l’élargissement du public dévoile déjà certaines des ambiguïtés qu’il implique. D’une part, il est considéré comme bénéfique que chacun, du moment qu’il sait lire (mais pas nécessairement, avec la pratique de la lecture en public), puisse avoir accès aux textes imprimés, et d’abord aux textes sacrés. De l’autre, les dangers potentiels présentés par une lecture sans contrôle apparaissent aussi: il convient, pour pouvoir accéder à un certain type de textes, de disposer d’un certain niveau de formation intellectuelle qui garantirait de pouvoir distinguer plus précisément le vrai du faux, et qui serait nécessaire pour asseoir un jugement fondé. Bref, si tout un chacun peut lire, cela n’est pas nécessairement souhaitable, bien au contraire.
Six grandes parties. Après l’introduction de Mario Infelise, l’ouvrage publié par nos collègues envisage d’abord la question de l’articulation entre oralité et imprimé, puisque l’imprimé de grande diffusion s’adresse en priorité à un monde dominé par la communication orale: Mario Infelise rappelle d’ailleurs que, encore au début du XXe siècle, la Calabre compte 70% d’analphabètes, contre 11% au Piémont. De telles distorsions ne peuvent pas rester sans effets sur l’économie du livre.
Mentionnons plus particulièrement l’étude des chansons imprimées (par Tiziana Plebani, p. 57 et suiv.). On pourrait, d’une certaine manière, relier à cet exemple la question de l’image, envisagée notamment par Giorgio Bacci pour la fin du XVIIIe et le XIXe siècle (p. 163 et suiv.) : l’article de Bacci envisage aussi la question des transferts de modèles éditoriaux, avec la prégnance de certains modèles français sur l’édition italienne au XIXe siècle.
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